À la découverte du métier de luthier
Interview d'Alain Quéguiner, luthier parisien
Spécialisé dans la conception de guitares classiques, Alain Quéguiner (alain-queguiner.com) est l'un des rares luthiers de la capitale, et sans doute le plus reconnu dans son domaine de prédilection, la guitare folk. C'est avec un immense plaisir que nous avons pu découvrir son atelier et réaliser une interview de celui qui a fabriqué des guitares pour des artistes de renom tels que Renaud, Francis Cabrel ou bien encore Maxime Le Forestier.
Bonjour Alain. Les luthiers parisiens se comptent sur les doigts d'une main, et tu es l'un d'entre eux depuis 37 ans. Pourrais-tu commencer par nous parler un peu de toi et de ton parcours ?
Je suis tombé là-dedans un peu par hasard. Je jouais de la guitare avec un copain dans les années 80, et un jour on est tombé sur un livre qui s'appelait « Classical guitar making » qu'on a dévoré. L'envie de fabriquer nous-mêmes des guitares est venue très vite. On est allé voir quelques luthiers pour avoir des adresses de spécialistes du bois car on ne connaissait rien de rien. Pendant deux ans on a fait des guitares classiques, chacun une dizaine. C'était plutôt dans une optique de loisir, on envisageait pas une seule seconde d'en faire notre métier. Plus le temps passait, plus la passion grandissait. Comme toutes nos connaissances étaient basées sur des bouquins, je suis allé faire un petit stage aux Etats-Unis chez quelqu'un qui ne faisait que de la guitare folk. Je suis rentré en France avec deux guitares que j'avais fabriquées, et ça m'a donné la confiance pour me lancer. Je me suis dit que c'était peut-être possible. J'ai alors dessiné mes modèles, et puis j'ai commencé à faire des petites expos « amateurs ». J'ai rencontré d'autres luthiers comme Franck Cheval, autodidactes comme moi, avec qui on a échangé beaucoup de conseils. Au fur et à mesure, on a rencontré des journalistes, on a fait des salons, et petit à petit on s'est constitué une clientèle.
Tu fabriques surtout des guitares folk. Qu'est-ce qui t'a poussé à te spécialiser dans ce type de guitare ?
Les goûts musicaux. Je suis fan de Neil Young, Bob Dylan. Je pense que c'est indispensable d'être en osmose avec le style des futurs acheteurs parce que quand quelqu'un vient, on parle d'album, de toucher de guitariste. Si tu n'es pas dedans, c'est extrêmement compliqué.
Les guitares Quéguiner ont-elles un son particulier ?
Oui, les gens disent qu'elles ont une sonorité spéciale, enfin plutôt des nuances. Je suis plus proche des guitares Martin d'avant guerre que d'une Gibson. C'est ce son-là qui me plaît.
As-tu un modèle phare ?
Mon modèle le plus représentatif, c'est mon modèle Jumbo. Ce n'est pas une grosse guitare, mais la forme est un petit peu ronde. Maxime Le Forestier joue là-dessus, et comme c'est une guitare que l'on voit assez souvent à la télé, il y a beaucoup de gens qui me font faire ce modèle-là. C'est aussi le modèle qui a été le mieux accueilli par les journalistes.
Le modèle Jumbo par Alain Quéguiner
Qu'est ce qui pousse un guitariste à se faire fabriquer une guitare chez un luthier plutôt que d'aller en acheter une dans un grand magasin ?
C'est un peu l'influence des musiciens qui nous font l'honneur de jouer sur nos guitares. Certaines personnes sont séduites par certains musiciens et vont vouloir acquérir la même guitare. J'ai fait des guitares pour Francis Cabrel et Maxime Le Forestier par exemple, et les gens qui aiment ces artistes-là ont la curiosité de venir voir comment je travaille. Je ne vois pas comment quelqu'un arriverait à vendre des guitares sans avoir personne de connu dans sa clientèle. Ce serait bien, ça ne me déplairait pas du tout, mais ce sont souvent les artistes connus qui ont ouvert petit à petit les portes de nos ateliers.
Et tu as beaucoup d'artistes de renom comme Francis Cabrel et Maxime Le Forestier ?
Oui, dans la variété, j'en ai quelques uns. Nos guitares coûtent quand même des sous, et les guitaristes professionnels ne roulent pas sur l'or. Donc il nous arrive d'avoir des « stars » et des vedettes de la chanson qui ont forcément plus de moyens. J'ai fait quatre guitares pour Renaud. Mais j'ai aussi des guitaristes professionnels comme Manu Galvin.
Tes conseils pour un musicien qui voudrait se faire fabriquer une belle guitare chez un luthier?
Il faut prendre le temps, écouter la guitare, la comparer avec d'autres. Une guitare, on l'habille comme on veut. Il faut craquer sur la sonorité. Après, un luthier va faire un manche plus étroit, avec tel galbe, il va mettre de la nacre, il peut faire une décoration personnalisée, mais l'essentiel c'est la sonorité. Evidemment, la forme de la guitare et l'esthétique jouent aussi. La forme de mes guitares ne plaît pas à tout le monde. Il faut que la gratte ait un bon look qui fasse craquer le musicien.
Et que dirais-tu à un jeune qui voudrait se lancer dans le métier de luthier ?
C'est compliqué. Il y a très peu de luthiers qui prennent des apprentis. Quelqu'un qui voudrait faire ça, je lui conseillerais de faire une petite formation en ébénisterie. Moi, je n'ai pas fait de formation, mais certainement que ça m'aurait profité et que j'aurais gagné du temps. Il y a des gens qui voudraient être apprentis alors qu'ils n'ont rien fait. Ceux-là, ils n'ont aucune chance. Au contraire, certains viennent me voir avec une guitare qu'ils ont faite, même si elle a des défauts. De toute façon ce sera difficile, mais je suis persuadé qu'on aura toujours besoin de gars comme nous.
Pour finir, as-tu des projets en cours pour les prochaine années ?
J'ai toujours des idées et des projets de guitare. Récemment, j'en ai fait une avec une table en sequoia. Et je suis en train de travailler sur un modèle en nylon. Je suis toujours aussi passionné, mais il n'y a pour l'instant pas de révolution prévue !